3 questions à ... Anne-Laure Bourout-Oval
Experte du secteur du textile et de la mode et coach au sein du programme Talents

Experte du secteur du textile et de la mode depuis 30 ans, Anne-Laure Bourout-Oval a créé sa société de conseil, Albo Conseil , en 2011, et accompagne désormais des entreprises de mode dans leurs problématiques de financement et leur développement. Coach au sein du programme Talents, elle a à cœur d’épauler les jeunes marques. Elle nous livre ses constats et ses conseils en cette période complexe.
Comment les marques de mode en activité, ont-elles, en cette période de crise, sécurisé leur trésorerie ?
J’espère que toutes les marques de mode avec des fonds propres positifs ont fait la démarche de demander un Prêt garanti par l’état (PGE) ! C’était un véritable ballon d’oxygène pour la trésorerie et la meilleure façon de traverser ce tunnel. J’invite d’ailleurs, aujourd’hui, les entreprises de notre secteur à transformer le PGE en prêt de trésorerie. Cela permet de sécuriser sa trésorerie, tellement importante sur ce secteur. En effet, la mode est une grosse consommatrice de cash. Entre le moment où l’on conçoit une collection et celui où l’on récolte les fruits de son travail, il se passe minimum six mois voire 10 – et ce cycle a pu s’allonger avec la constitution de stocks liée à la baisse de la consommation – et pendant tout ce temps, il faut tenir ! De façon générale, il était bon d’avoir recours à tous les outils de soutien développés pendant cette période comme le prêt Rebond de la région Île de France destiné aux marques plus petites encore, les subventions pour la digitalisation pour celles qui n’avaient pas de eshop. Et depuis le 3 mai, le gouvernement a mis en place dans le cadre du plan de relance un prêt participatif qui se situe à mi-chemin entre un prêt long terme et une prise de participation au capital.
Y-a-t-il des outils particulièrement adaptés aux entreprises de mode en pleine croissance ?
Il y a les crédits de campagne, peu connus car les banques ne les mettent pas en avant. Ils permettent, sur la base du chiffre d’affaires potentiel, d’emprunter sur une très courte période afin notamment d’avoir les fonds nécessaires à une production. Il y a également l’IFCIC, un établissement spécialisé dans le financement du secteur culturel dont fait partie la mode, copiloté par Bercy et le ministère de la Culture. Il garantit les prêts qui répondent à un besoin en fonds de roulement. On peut y avoir recours quand on commence à avoir une croissance forte et que l’on est au bout de ses capacités de trésorerie. Les outils sont donc limités c’est regrettable car le secteur de la mode peut être très attractif pour des jeunes diplômés en gestion et finance qui apprécient les situations complexes et tendues.
Est-il prudent de se lancer aujourd’hui dans une aventure entrepreneuriale sur le secteur de la mode ? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes marques ?
Il faut être optimiste. Même si les gens ont un peu perdu le goût de l’achat depuis les deux nouveaux confinements, la situation est moins grave que pendant la crise de 2007. De plus, depuis 5 ans, je constate que les marques émergentes sont plus prudentes. Et c’est une bonne attitude. Il faut aussi privilégier l’agilité. Le consommateur a beaucoup changé : il est très informé, attentif à la qualité, au prix. Une idée ne peut donc plus suffire pour se lancer. Il faut un projet global, un mix de produits forts. Il faut également être conscient que le business de la mode implique beaucoup de travail et, comme je vous l’ai dit, énormément de fonds. C’est pourquoi, il faut apprendre à fonctionner autrement. Les grandes maisons de mode ont longtemps privilégié les « circuits fermés ». Or, il faut maintenant travailler en réseaux, une approche mise à l’honneur au sein du programme Talents de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin, de celui l’IFM ou encore d’autres incubateurs. Ces programmes sont de formidables outils d’accompagnement où prime la solidarité, une notion, elle aussi importante…