3 questions à ... Philippe Schiesser
Directeur d'Ecoeff Lab, bureau d'études, de conseil, et de formation en éco-conception

Directeur dEcoeff Lab, bureau d’études, de conseil, et de formation en éco-conception, Philippe Schiesser a accompagné (grâce au soutien du DEFI) la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin, Promincor-Lingerie Française et la Fédération Française des Industries du Vêtement Masculin dans la réalisation de leur guide « Éco-conception pour marques responsables ». Focus sur quelques grands axes de cet outil pratique et engagé.

Quel est le cadre de l’éco-conception ?

L’éco-conception est une méthode holistique qui répond à cinq principes. Tout d’abord, il s’agit de prendre en compte toutes les étapes du cycle de vie du produit, de sa production à son éventuelle nouvelle vie. Il faut aussi s’attacher à tous les aspects environnementaux, ce qui peut se faire au travers d’une compilation d’informations. Troisième point :  rechercher une cohérence globale avec les objectifs d’éco-conception. Ici des indicateurs tangibles doivent être mis en place pour évaluer les choix de conception par rapport aux attentes des parties prenantes. La recherche de compromis est également incontournable et nécessite d’établir un bilan des avantages et des inconvénients de diverses exigences environnementales et de solutions alternatives en maximisant ce qu’ISO 14006 appelle leur « bénéfice net ». Enfin, cinquième point : l’amélioration continue autour de feuilles de route, de revues régulières des objectifs, d’actions de communication auprès des parties prenantes.

Quels sont les éléments qui poussent une marque à s’engager dans une démarche d’éco-conception ?

Aujourd’hui, aucune entreprise ne peut échapper à une réflexion sur sa responsabilité sociétale et environnementale. Il n’y a pas de vaccin pour éviter certains maux qui touchent notre planète (comme le changement climatique). Il faut donc agir. D’autant que le consommateur français exerce une forte pression et est prêt à boycotter des marques qui ne répondraient pas à ses attentes en matière d’engagement. Cette conjonction d’un état environnemental inquiétant et d’une demande citoyenne rend l’éco-conception incontournable. Elle doit s’inscrire désormais dans l’ADN de la marque. Certes la mode est un secteur où tout va vite, où les collections s’enchaînent et où l’on n’a pas toujours le temps de se pencher sur ce sujet qui exige de prendre du recul. Dans le guide, nous proposons donc une méthode en deux temps : d’abord une approche de marque ou d’entreprise puis une approche sur les collections. C’est lors de cette deuxième phase que l’on va travailler avec le style, la direction des achats, les ateliers de fabrication, qui sont ceux qui ont la capacité de faire avancer l’éco-conception par rapport à un prototype. Pour s’engager sur ces voies, le leadership est fondamental. Il faut une prise de position forte mais aussi des moyens pour permettre à toutes les directions de travailler ensemble, notamment en groupes de projet. C’est ainsi que l’on passe du management à la méthode et c’est ce qui permet d’aller au-delà du manifesto. Dans le guide, nous proposons des outils comme la roue de l’éco-conception textile avec 8 grandes thématiques, 24 chapitres et 40 questions pour permettre de relier tous ces points.

Éco-conception et innovation semblent indissociables ?

En effet, l’éco-conception implique de mettre en place de nouveaux outils et évidemment d’investir dans la recherche et le développement. L’innovation en matière d’éco-conception s’articule notamment autour de quatre grands axes : la naturalité, qui touche à la production et à la traçabilité des matières ; le minimalisme avec une recherche sur des pièces plus intemporelles et durables mais aussi une réflexion sur les saisons, les modes de production ; la circularité pour inventer, pourquoi pas, des matériaux réutilisables à l’infini ; le biomimétisme qui consiste à s’inspirer des performances du vivant, en somme une quête de bon sens et de sagesse. Ces pistes conduisent à une réinvention des modèles. On le voit par exemple, avec l’essor de la seconde main, la conception 3D, la mode virtuelle, la production à la demande, le recyclage… Toutes ces avancées ne doivent cependant pas faire oublier que l’éco-conception ne peut pas être déconnectée de la responsabilité sociale. Faire des vêtements en coton bio produit dans des conditions de travail indignes (hors respect des droits de l’homme et des conventions de base de l’OIT) n’est pas acceptable. Et le consommateur averti saura prendre bonne note d’un tel choix.