3 questions à Gildas Minvielle
Directeur de l’Observatoire économique de l'Institut Français de la Mode

En ce début d’année 2022, le Directeur de l’Observatoire économique de l’Institut Français de la Mode revient sur les chiffres de l’année 2021 et ouvre des perspectives pour les mois à venir.

Quel est le bilan de notre secteur pour 2021 et les perspectives pour 2022 ?

L’année n’étant pas encore clôturée nous n’avons pas les statistiques complètes pour 2021. Mais nous avons déjà des résultats sur les onze premiers mois qui montrent que c’est une année positive. C’est essentiel mais ce n’est pas suffisant pour compenser le creux de 2020 avec un marché qui avait reculé de 15 % selon IFM panel. Pour 2021, de janvier à novembre, la hausse est de 11 %. Mais il manque le mois de décembre qui est important pour le secteur. Il est malheureusement plus incertain en 2021 qu’en 2020 où, avec notamment le décalage du black friday, il avait été exceptionnel. Même si les résultats restent insuffisants – ils sont 10 % en dessous du niveau de 2019, année qui a précédé la crise sanitaire et qui est donc la référence « normale » -, il faut cependant demeurer optimiste.

En ce qui concerne les perspectives, avec le nouveau variant, il est difficile de se projeter. Le scénario qui est pourtant le plus vraisemblable pour 2022 est un retour à la case départ soit au niveau de la consommation de 2019.

Quelles sont les évolutions des comportements des consommateurs ?

En cette période particulière, les lignes bougent plus vite. Il y a beaucoup d’attentes en matière de développement durable, de respect de l’environnement mais aussi d’éthique, d’inclusion, de lutte contre les inégalités… Ce sont des réflexes de consommation qui existaient avant la crise et qui étaient apparus notamment au moment du drame du Rana Plaza en 2013. Mais, ils se sont accélérés ces dernières années. Autre évolution importante : le digital, devenu un relais de croissance essentiel et représentant 21 % du marché en 2020 contre 15 % en 2019. Même si on peut imaginer que le phénomène va se stabiliser, on doit considérer que, désormais, il représente près d’un quart du marché. Et, il ne touche pas seulement les jeunes mais toutes les générations. Acheter en ligne, ne signifie pourtant pas la fin du magasin physique. Il demeure important surtout avec le développement des pratiques comme le click and collect, la réservation en ligne… Le magasin a évolué avec les confinements, devenant parfois également un point de stockage, mais il demeure au centre de la stratégie omnicanale. Un nouvel équilibre « phygital » est en train de se mettre en place. 

Quelles sont les tendances business de demain ?

Le retour au local est central. Certes, le made in France ne représente et ne représentera qu’une petite part du marché et ne concernera pas les gros volumes. Mais, de façon générale, on se rend compte que l’on va vers des approvisionnements plus proches. La question des masques pendant le premier confinement a montré que l’on était allé trop loin dans la désindustrialisation. Cela a catalysé un renouveau, une sorte de régionalisation : quand on ne peut pas produire en France, on se tourne vers des zones limitrophes, l’Europe, le Maghreb. Cela peut permettre une complémentarité des savoir-faire : le tissage dans certains pays, la confection dans d’autres… L’avantage de cette proximité est qu’elle permet notamment de raccourcir les délais et les distances de transport, donc l’empreinte carbone. Cela rend optimiste de voir que de nombreuses entreprises s’orientent vers ce type d’organisation. On connaît le Slip Français et 1083 mais il y a beaucoup d’autres marques sur le segment moyen-haut de gamme qui adoptent ces modèles. Certes, cela implique des prix supérieurs. Or, pour certains consommateurs, le prix est déterminant et, avec la crise, ce critère s’est même renforcé. La fast fashion n’est pas enterrée. L’ultra fast fashion est même d’actualité : on le voit avec le succès d’acteurs comme Shein. Le marché est donc compliqué. Mais je veux croire que, comme pour l’alimentaire, il va évoluer vers le « moins consommer mais mieux ».